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mercredi 29 avril 2009

Try to remember

"Si j'étais un objet, je serais une bouilloire électrique."

Je remonte doucement la pente de mon passé. Ce n'est pas le chemin des écoliers mais plutôt des sauts en sens inverse dans les traces qu'ont laissé mes pas.

Il y a d'abord le trajet bien connu, la place de la mairie. Je longe les stands de nourriture et la vitrine de la librairie - était-elle déjà là il y a cinq ans? L'odeur du poulet grillé, les épices, l'odeur des gens qui vivent pendant que je me concentre pour retenir le digicode. Deux passages piétons, consécutifs, la fontaine qui ne marche que l'été, et puis enfin, la rue boisée, en douce montée. Il y a toujours le même immeuble, et toujours la même fenêtre étrange où s'éparpillent des cris d'oiseaux. Je n'ai jamais regardé à l'intérieur, je n'ai jamais osé tourner la tête. Les pépiements sonnent comme le signal du départ vers la dernière ligne droite.

Vite. Réfléchir aux premiers mots à dire, comment engager la conversation, trouver le sujet du jour, le filet de sauvetage si mes mots me noient au lieu de couler. Dernier passage piéton, déjà. Et là, la porte vitrée. Le code n'a pas changé, l'étiquette "rez-de-chaussée gauche" non plus. J'avais oublié la rapidité avec laquelle il fallait se jeter sur la poignée, dès le bouton de l'interphone enfoncé. Mais je n'ai pas oublié le chemin ; avec lui me revient instinctivement la douce et réconfortante culpabilité de pousser la porte "entrée libre". Ici non plus, rien n'a changé. Même moquette, même fauteuil qu'on choisit toujours à l'identique, même livres qu'on fait semblant de lire, même radio qu'on n'écoute pas. Même bonhomme qui m'accueille avec un sourire aussi apaisant qu'angoissant, dans le même lieu, avec les mêmes paroles. Sur son visage défilent celui de mes frères, de mon père, des hommes que j'ai aimés, celui de ma mère, d'ancêtres lointains et d'amis proches, de connaissances perdues, retrouvées, oubliées à tout jamais.

Et derrière lui, là, tout au bout de ce chemin qui n'a pas changé, il y a moi, qui m'attend là depuis toujours.

dimanche 12 avril 2009

Facebook [v.1]


Je me connecte sur Facebook. Adresse pré-enregistrée, mot de passe automatisé, socialement labellisée, je retrouve mes amis sur mon Wall. Rapide tour d'horizon, les gens que j'aime vont bien, leur statut est à jour. On s'échange quelques verres, une partie de poker et j'envoie un bisou à paillettes entre deux sushis sur l'appli "japanese food". Je sais plus trop quoi faire alors je fouille dans les photos d'une camarade d'école primaire qui a grossi, qui vit dans un trou paumé avec son mec ringard, ses potes ringards, son boulot ringard et ses fringues ringardes, hahaha, j'ai toujours su qu'elle finirait par rater sa vie. Stop! Y'a du mouvement sur le "profile" d'un friend. Changement de picture, tête de sa pouffe en avatar, cet étalage d'amour, vraiment, c'est indécent. Si elle savait que tout les deux, on a 97% de compatibilité sexuelle au Sexo Quizz et qu'on se poke toute la journée... c'est dingue comme il poke bien. Pour me venger, je réponds une vacherie sur elle aux "Petites questions entre amis", ce sera toujours ça de pris. Et là, je tombe sur les photos d'un event où j'ai pas été invitée. Je comprends pas, j'ai du être blacklistée, ça me rend mal, je change mon statut pour faire réagir mes contacts, un truc bien sombre pour avoir des messages dans ma box. Ca fait dix minutes et j'ai toujours pas de comment, pas même un like ou un clin d'oeil. Pourtant, je les vois débattre sur le link de Machine, pourquoi personne n'a rien écrit sur mon wall à moi depuis deux jours, pourquoi personne ne prend du temps et des nouvelles, ils m'oublient, ils m'aiment plus, c'est pas de ma faute si j'ai pas de connexion dans la journée, j'ai peur de perdre mes relations, je leur envoie des Pamela Anderson et je les chatouille à distance, ouf, ça y est, il y a des news dans mon feed, mais non, c'est juste une boule de neige envoyée par une conne partie vivre son rêve en Finlande, je le sais, je l'ai vu sur les albums de sa petite vie parfaite pendant que je colle la mienne au plasma, je me sens seule sur mon wall, je me sens seule face aux visages qui sourient Barbie et je me rends compte que j'ai perdu le goût des peaux. Alors je regarde mon profil et ça me rassure : j'ai plein de photos taggées, ça prouve que je fais des choses, que je suis entourée. Superpoke général, je retourne me coucher.

dimanche 5 avril 2009

Sujet de réflexion du dimanche soir

"Toutes les sociétés humaines sont spectaculaires dans leur quotidien et produisent des spectacles pour des occasions spéciales. Elles sont spectaculaires en tant que mode d'organisation sociale, et produisent des spectacles comme celui que vous vêtes venus voir.

Même si nous n'en avons pas conscience, les relations humaines sont structurées de façon théâtrale : l'utilisation de l'espace, le langage du corps, le choix des mots et la modulation de la voix, la confrontation des idées et des passions, tout ce que nous faisons sur les planches, nous le faisons dans notre vie : nous sommes le Théâtre! Non seulement les noces et les funérailles sont des spectacles, mais le sont aussi les rituels quotidiens si familiers qu'ils n'affleurent pas à la notre conscience. Non seulement les grandes pompes, mais aussi le café du matin et les bonjours échangés, les amours timides et les grands conflits passionnels, une séance du sénat ou une réunion diplomatique - tout est théâtre.

L'une des principales fonctions de notre art est de porter à notre conscience les spectacle de la vie quotidienne dont les acteurs sont également les spectateurs, dont la scène et le parterre se confondent. Nous sommes tous des artistes : en faisant du théâtre, nous apprenons à voir ce qui nous saute aux yeux, mais que nous sommes incapables de voir tant que nous sommes peu habitués à regarder. Ce qui nous est familier nous devient invisible : faire du théâtre, c'est éclairer la scène de notre vie de tous les jours."

Augusto Boal


jeudi 2 avril 2009

Autopsie d'une femme libérée (suite... et fin?)

*God will forgive me but I, I whip myself with scorn *

D'abord, je me raserai la tête. Parce que ce sont mes cheveux qui m'identifient, qui me grillent à des kilomètres. Sans eux, je me fondrai dans la masse et je passerai incognito entre deux sexes.

Ensuite, je m'attaquerai à ma poitrine, pour qu'on tienne des promesses au lieu de tenir mes seins. Je rentrerai tout à l'intérieur pour plus de sincérité, pour ne plus que l'attention louche vers le téton, pour me débarrasser de ces obus que je n'ai jamais commandés.

Puis, j'arrêterai de manger pour faire partir mon ventre, pour faire partir mes hanches, pour faire partir mes fesses. Je disparaitrai dans le paysage, plate comme une planche de bois. Je serai trop lisse pour être saisie : il n'y aura plus de prise pour m'attraper, plus de plaisir à me caresser, plus de convoitise, plus rien.

Il ne restera que mon vagin et je ne sais toujours pas quoi en faire. Je ne peux pas l'arracher, je dois apprendre à l'avoir en moi, lui et les traces qu'on y a laissées. Je pourrais le boucher, le remplir de cire, l'étouffer, le condamner ; je pourrais l'agrafer, le coudre, le coller. Mais il restera là, comme un fantasme mystérieux qui hurle des hormones. Je ne peux pas accepter ça. Il faut que je trouve une solution imparable.

Je ne veux plus être une femme.
Je ne veux plus être une femme.