Cette semaine, j'ai repris le sport. J'y vais tous les jours, un grand gymnase rempli de jolies filles. Pendant une heure, je sue, je saute tout ce que je peux, jusqu'à devenir collante et luisante. Dans les vestiaires, je mets du temps pour m'habiller. Je regarde en coin toutes ces silhouettes qui m'entourent. J'observe discrètement leur peau blanche, leur seins tendus, leurs hanches qui se balancent entre les douches et les bancs, impudiques, sûres, charmantes. Je détaille leurs cuisses fines, leur ventre doux, soyeux, leur profile harmonieux, rassurant, leur démarche gracile, j'écoute leurs rires de fille. Je regarde ; je compare. Elles sont belles et j'ai honte. Alors je cache chaque partie de mon corps, je me contorsionne pour qu'on ne me voit pas et je me recroqueville dans mon jogging.
En rentrant chez moi, j'ai mangé tout le paquet de pain de mie. En une fois, en entier. Une tranche après l'autre. Sans rien dessus. J'aime ça, le pain de mie. C'est doux, c'est mou. Pâteux. Je mange d'abord la croute, du bout des dents. Travail d'orfèvre. Puis je replie le reste en quatre et je l'écrase autant que je peux pour former un petit carré de mie compact. Quand je le mets dans ma bouche, ça fait de la bouillie, de la bouillie qui coule gluante au fond de ma gorge, tapisse mon estomac de plus en plus, le blinde, le gonfle d'une substance déjà régurgitée. Ma peau se distend, mes flancs épaississent à mesure que le paquet passe. Je repense aux corps des femmes dans le gymnase. J'avale une autre tranche.
Un jour, je mangerai encore plus de paquets. Cinq ou six peut-être. Sept, huit, neuf, jusqu'à ce que je m'écroule. Je descendrai les tranches, méthodiquement, une par une, jusqu'à ce que mon ventre trop lourd flanche, que je m'enfonce à même le sol. Je m'allongerai, je ne pourrai plus bouger, la tête levée, sentant mon ventre se gondoler. On me retrouvera, tripes débordantes et déballées et quand on me demandera pourquoi, je répondrai : "Parce que j'étais trop affamée. Parce qu'il fallait nourrir mon bébé mort."
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