J’ai la tête appuyée sur la vitre du bus, comme d’habitude.
Un casque sur les oreilles et les yeux sur la route, j’essaye de me confondre
avec le gris du bitume. Ca fait plusieurs années maintenant que je roule comme
ça, la pluie en guise de larmes, la clim pour oxygène, des paroles de chanson
comme moyen d’expression. Ca fait plusieurs années maintenant que je vis en
playback.
De l’autre côté de ma frontière de plastique, des formes
bougent, colorées et floues. Elles scintillent doucement et se reflètent sur
les pavés. Elles forment des monades de silhouettes qui se déplacent ensemble.
Parfois, j’imite leurs gestes, murmure leurs mots, fais tout comme elles, pour
m’imaginer une vie de rêve dans laquelle je descendrai du bus pour rentrer dans
leur danse, attraper leur bras et marcher avec elles sur les trottoirs trempés.
J’imagine aussi des amours éperdues, des grands moments tragiques qui terminent
en étreinte, des rires, des passions. J’imagine que j’arriverai pour une fois à
vivre pour de vrai.
Pourtant, j’ai fait l’effort déjà, de sortir et puis d’être
avec eux. J’ai ouvert la fenêtre, tout doucement, et certains sont venus. Et
parfois même, arrivés près de moi, certains ont mis leur main ici, entre les
gouttes, et je voyais un peu plus clair à l’extérieur. Alors je posais ma main
à l’endroit de la leur et de la buée s’est formée autour de ce sandwich de
peau. J’y ai vu un signe, à chaque fois. Alors j’ai ouvert ma fenêtre, encore
un peu plus grand, et l’air m’a semblé beaucoup plus frais que ce que je croyais.
Quand la buée s’est dissipée, j’ai vu des sourires que je ne reconnaissais pas.
Et les doigts sur ma vitre sont devenus des griffes qui lacéraient mon
plexiglas. J’ai fermé la fenêtre – trop tard, déjà rayée – mais la pluie avait
déjà eu le temps de me gicler sur le visage.
Alors voilà : ça fait plusieurs années maintenant que
je vis en playback, pour que la vie reste une chanson, l’air de la clim et les
larmes de la pluie. Les yeux fermés et la musique sur mes oreilles, j’imagine
mes amants éperdus courant après mon bus et des moments tragiques qui terminent
en étreintes.
Ca fait plusieurs années maintenant que je n’ai plus ouvert
la fenêtre.
Et puis sa main s’est glissée dans mon dos, a caressé ma
nuque et emmêlé mes cheveux. Et tout ça sans que la pluie ne rentre. Il était
là, lui aussi, assis à mes côtés depuis tout ce temps. J’ai décollé mon front
de la vitre embuée, et j’ai vu le soleil à la place des ampoules. J’ai vu sur
le pare brise une grande route qui s’ouvrait et mon bus qui filait sans jamais
s’arrêter. J’ai vu les silhouettes grises sur les trottoirs, statiques, et j’ai
vu son sourire comme un fil qui s’étire.
Et son visage dans un soupir a fait fuir mes terreurs et
remis de l’essence dans mon réservoir vide.
Joyeux anniversaire Nyamuk.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire