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jeudi 6 août 2009

Crise mystique


"Personne ne savait que Tante Mélie était en train de perdre la boule, que lorsque nous tournerions le coin de la rue elle fondrait en avant comme un renne, et mordrai un morceau de la lune. Arrivée au coin, elle fondit en avant comme un renne, et se mit à hurler : "La lune! La lune!" - et sur ces mots son âme rompit ses liens, et jaillit tout net hors du corps. Quatre vingt six millions de kilomètres à la minute! Là-haut, la-haut, vers la lune, et personne assez prompt de penser pour l'arrêter. Voilà comment ça arriva. Le temps d'un clignement d'étoiles."
Henri Miller - Le Tailleur


Henri Cartier Bresson est fort.

Je m'intéresse assez peu à la photographie : j'aime les regarder, apprécier leur côté esthétique ou les accrocher chez moi, mais elles me bouleversent rarement. L'image photographique reste une anecdote qui touche mon oeil mais pas le reste. Sans rentrer dans une analyse universitaire de vingt pages sur le sujet, je me contenterai de suivre la pensée de Francis Bacon lorsqu'il estime que la photographie, unidimensionnelle dans son essence même, ne saurait nous titiller au-delà de nos pupilles. Le système nerveux et la chair qui ressentent ne sont pas atteints.

Bref, voilà pour la caution intellectuelle ; je garderai le développement pour mon mémoire.

Toujours est-il que Henri Cartier Bresson est fort.
J'ai découvert un aspect de son oeuvre que je ne connaissais pas : les photographies "à la sauvette". Autrement dit, HCB - pour les intimes - ne compose pas : il n'arrange pas les personnages ou les éléments qu'il veut immortaliser. Il voit quelque chose et CLAC, il sort l'oiseau. Ou bien il attend des heures, l'oeil rivé sur son appareil, que quelque chose se passe. Et généralement, quelque chose se passe, quelque chose de magique. Ce quelque chose, ce peut être deux femmes en noir passant exactement sous deux sculptures de femmes en blanc, dans la même position, sur le fronton d'un bâtiment. Ce peut être un reflet étrange qui donne l'impression qu'une vue plongeante sur les arbres et en fait celle d'une mare. Ce peut être un homme endormi sous un dessin qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau. Le sourire d'un homme, le sourire d'une femme.

Ce que HCB photographie, c'est la magie du quotidien, la magie qui se trouve dans chaque instant et qu'il nous faut apprendre à voir. Ce n'est pas un tour de passe passe, HCB était juste là, à attendre que l'extraordinaire se manifeste. Et l'extraordinaire se manifeste constamment! Nous le verrions si nous n'étions pas étouffés par notre propre toute petite personne grisâtre, obnubilés par le bout de nos pied et le trou dans nos chaussettes. La merveille est là, le merveilleux est partout, dans toutes les compositions instinctives que prend la vie. HCP le dit mieux que moi : "C'est l'évènement par sa fonction propre qui provoque le rythme organique des formes." Un évènement se passe, et les conséquence, ou plutôt les preuves tangibles que cet évènement est là, présent, peuplent notre quotidien et le rendent plein de magie. Ce sont des signes qui ne trompent pas. Il existe un ordre des choses, des pistes magiques qui nous emmènent où nous devons aller.

Je suis assise à une table du Starbucks de la rue de la Roquette, le même que le 20 juin dernier avec le même Caramel Macchiato. Ce qui a changé? La bande sonore : Like Jane de Rodriguez. Piqure de rappelle pour me dire que non, c'est loin d'être fini, que la magie est là mais qu'elle a sûrement été utilisée à mauvais escient. Mais elle et là ; et le film que je vais voir quelques jours plus tard me le confirme. Oui, la vie est bourrée de hasards merveilleux auxquels je dois croire. Il y a des choses que nous devons faire, des êtres que nous devons aimer et les signes nous le rappellent : c'est une évidence. J'ai quitté des hommes que j'aimais encore parce que tout me disait que nous ne pouvions plus vivre de cette façon, que tout avait été construit sur la voie que nous avions prise et qu'il n'y avait plus rien à faire. Qu'il fallait trouver une autre voie. D'autres m'ont quittée mais tout me dit que nous n'avons pas tout vécu. Que reste-t-il? Du beau? Du laid? Je ne sais pas mais c'est là la magie de notre monde, et c'est elle que je veux.

J'ai essayé de laisser tomber ces idées et de flirter avec le sol, de ne penser qu'en termes de réseaux sociaux équilibrés basés sur des trocs d'amour au rabais auxquels on se laisse aller par paresse, "tant que ça marche". C'est peut-être un mode de vie ; ça ne peut pas être le mien. Moi, je veux continuer à croire à la magie et ce n'est pas parce que tu n'avais pas la bonne potion que je dois cesser d'y croire. Je veux, moi aussi, saisir la magie à bras le corps et la savourer. Cette magie existera pour moi. La vraie. Pas les ersatz d'amoureux en strass et paillettes qui m'ont intoxiquée avec leurs plumes synthétiques.

Alors je saute sur le marche pied et je m'envole à nouveau loin du bitume. Je m'excuse, je m'excuse auprès de ceux qui tiennent vraiment à moi et qui s'inquiète de mon fonctionnement, de ne plus jamais me revoir. C'est un choix. Aux éraflures des cailloux, je préfère les gifles des airs.

Et puis zut, ça m'embêterait de mourir sans avoir prouvé que j'avais raison. Sans avoir eu ma part de magie. Ca m'embêterait de mourir sans avoir eu raison.

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