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lundi 19 octobre 2009

Portrait n°4



Quand Jules m'a quittée, je lui ai dit que ce n'était pas grave. J'étais triste, bien sûr, un peu triste à l'idée de devoir réorganiser ma vie que je trouvais plutôt bien ficelée. C'est tout. Ce n'était pas insurmontable.

Tout au long de notre relation, je m'étais bien gardée de lui dire que j'avais besoin de lui, jamais la faiblesse de dire que je tenais à lui. Les courses, je les portais toujours seule, même quand l'ascenseur était en panne. Juste pour lui faire comprendre que nos vies étaient séparées, qu'il n'aille pas croire que je serais comme ces femmes qui vivent à travers leur homme, accrochées à leur homme, qu'il n'aurait jamais ce pouvoir sur moi, jamais il ne pourrait disposer de moi, jamais acquise, au grand jamais aplatie. J'étais son égale, aussi forte que lui, aussi équilibrée avec lui que sans lui. Au fond, je m'arrangeais pour qu'il n'ait pas de place dans ma vie ; pour qu'il n'y entre jamais. Pour garder sous contrôle.

Son départ a été doux. Je me suis dit que je me retrouvais juste un peu plus seule qu'avant, et c'est tout.

Mes habitudes n'ont pas vraiment changé. Je pensais à lui, parfois. En montant les étages avec mes courses à bout de bras. Je m'arrêtais parfois au cinquième en me disant que mon indépendance n'avait plus beaucoup de sens, s'il n'y avait personne, là-haut, pour me dire "Tu aurais du m'appeler", personne à dire qu'on n'a pas besoin de lui.

J'ai tenu trois mois.

Un matin, je suis sortie acheter de la confiture de groseille. Je suis remontée dans mon appartement. J'ai essayé de l'ouvrir. Je n'y arrive jamais ; cette fois encore, ça n'a pas loupé. Alors j'ai pris un couteau à bout rond pour soulever le couvercle.

C'est là que j'ai craqué.

En même temps que le "pop" du pot.

J'ai lâché mon couteau avant de me l'enfoncer dans le ventre.

La vie, ce n'est pas ça.
La vie, ce n'est pas ça.
Ce n'est pas devoir utiliser un couteau à bout rond pour ouvrir un pot de confiture tout seul.

J'ai pris mon sac.
Je suis partie.
Toujours pas revenue.
Le pot de confiture doit toujours être ouvert dans ma cuisine.
J'imagine qu'il est pourri.
J'imagine les mouches, dessus.

Je n'ai pas retrouvé Jules.
En fait, je ne l'ai pas cherché.
J'erre seulement, de place en place, en espérant un jour apprendre à être dépendante.

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