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vendredi 20 novembre 2009

Versus - Rodrigo Garcia

* Petit extrait d'une pièce avant de partir en week-end post-traumatique *

On peut tomber amoureux de n'importe qui n'importe quand. Ce qui discrédite l'idée romantique que l'on se fait de l'amour.

C'est un besoin qu'il faut assouvir, comme la soif.

La tâche de l'amoureux est alors double : se supporter lui-même et l'autre aussi, mais il semble que ce soit plus tolérable que de vivre sans amour.

L'amour est tellement important, tellement nécessaire, que peu importe l'autre. L'amour exclut l'être aimé. L'amour s'impose comme quelque chose d'abstrait, et on se fiche de savoir qui on aime.

Quand on marche dans les ténèbres, on s'accroche au premier rayon de soleil venu.

Quand tu es dans la dèche, tu ne fais pas la fine bouche, tu sors et tu chopes ce que tu trouves.

Reste ensuite à s'auto-convaincre : te dire à toi-même que c'est de l'amour et que cette personne sur qui tu es tombé et que tu as fait entrer chez toi est effectivement un rayon de lumière.

Dans 90% des cas, on découvre en moins de 72 heures qu'en fait cette personne n'était pas vraiment ce qu'on pourrait appeler un "rayon de lumière".

Parfois, tu ramènes chez toi des gens qui ajoutent encore plus d'obscurité à l'obscurité, et ils rendent l'obscurité tellement dense que tu pourrais la prendre dans ta main, la serrer fort, et la faire couler.

Mais, le temps passant, l'amoureux chronique transforme à nouveau la personne censée être l'objet de son en amour en rayon de lumière, dans ces moments de désespoir, quand on a besoin de compagnie humaine.

Aucun être n'éclaire la vie d'un autre, c'est comme ça et me faites pas chier.

Tout ça c'est des mensonges, parce qu'on a peur de crever tout seul.

On invente tous des rayons de lumière qu'on attribue à des personnes vulgaires et dégoûtantes, incapables de penser à autre chose qu'à elles-mêmes, et presque toujours il s'agit d'hommes et de femmes impitoyables tellement ils sont bêtes, impitoyables sans intention de l'être.

Quand je parle de ça, en général, je me retrouve tout seul : il y a ceux qui vont aux toilettes et ne reviennent jamais, ou ceux qui tout à coup se rappellent qu'ils avaient un rendez-vous ou un truc à faire avec leurs gosses.

C'est pareil quand, dans les moments de fragilité, on fait confiance à des inconnus.

Ils me répugnent, ces gens tellement en manque d'affection qu'ils se livrent au premier inconnu qui passe et qu'ils en arrivent même à trahir leurs proches.

Ils tombent sur un inconnu qui se la joue sympa dans un bar et ils lui racontent des choses de leur vie qu'ils ne devraient jamais raconter à un étranger, et puis ils l'invitent à dormir chez eux, ils l'autorisent à donner son avis sur des questions privées, et ils finissent pas lui confier le numéro de leur compte en banque.

Pourtant nul n'est censé ignorer que, pendant les quatorze ou seize premières heures, tout le monde est charmant, sauf qu'au bout d'un moment le soufflé finit par retomber.

Ensuite, les voilà qui se moquent quand ils lisent dans la presse des histoires d'arnaques niveau maternelle. J'arrive pas à croire qu'on ait pu arnaquer quelqu'un avec un truc aussi évident, ils disent. Alors qu'ils viennent de déballer leur vie au premier connard croisé dans un bar.

Je préfère avoir affaire au salaud qui m'a fait chier toute ma vie qu'au premier inconnu qui un soir, bourré ou camé, veut se faire passer pour un type honnête et sympa, cultivé, intéressant.

Mieux vaut être affligé par la malveillance familière plutôt que de découvrir de nouvelles malveillances et en crever de rage ou d'angoisse.

Je suis justement en train de lire un livre qui parle de ça. Il s'intitule : Je préfère que ce soit Goya qui m'empêche de fermer l'oeil, plutôt que n'importe quel enfoiré.

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