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jeudi 15 janvier 2015

Ssssssssshhhhhhhhhhhhhh


* I used to be able to cry but now I am beyond tears *
Sarah Kane - 4.48 Psychosis


Chaque semaine
allongée face à la porte
derrière le scellé d’une scène de crime
elle remet l’horreur en mots.

Assise sur une pile de corps pénétrés
elle clame à qui l’écoute que
-l’amour est un tour de passe-passe hormonal pour favoriser la reproduction et ainsi assurer la survie de la race
-l’amitié est un lien nécessaire qui rassemble les individus au sein d’un groupe pour se protéger des prédateurs
-et qu’au-delà de tous ces liens factices et d’arrangements pour couvrir ses arrières
il n’y a que le silence.

Ses ancêtres pourrissent dans le sol
leur indicible douleur
est le terreau de ce silence
et des principes de précaution qu’on lui dicte et qu’elle suit à la lettre.

Chaque semaine avec ses mots
elle tente de tisser des liens conjugués au passé
elle les accroche aux poignets des anciens pour en faire des pantins
et transformer leurs ombres en un théâtre avec lequel elle est autorisée à jouer
en famille, surtout.

« Le matin, quand je me lève »
dit-elle
« mon visage est gris, comme si je mourrais pendant la nuit. Je crois que je vais les rejoindre. Je crois que tous les matins, ils me renvoient chez les presque vivants pour accomplir je ne sais quelle tache. Il faut du temps et puis beaucoup d’eau chaude pour que ma peau se recolore. »

Parfois aussi,
elle sort en secret
pousse la porte, détache le scellé
se faufile au dehors, malgré les avertissements
parfois s’approche doucement, sans bruit
se fond dans la foule
pour harponner ici ou là
un cœur ou deux
deux corps ou trois
qui ramènent de la vie dans sa tête infertile.
Elle pose une main sur une épaule
et de ses pattes araignées tombe un minuscule fil de soi
dont elle se fait un cocon accroché à un autre
alors
chaque geste de l’autre resserre l’étreinte
chaque mouvement l’étouffe un peu plus
chaque mot est un couperet tranchant
son pauvre fil de soi minable

« Tes mots, mon amour, me donnent envie de vomir »
dit-elle en rentrant dans son antre.

Et puis du dessous de la tombe dont elle a fait son trône
ricanent ses ancêtres
« On te l’avait bien dit »
disent-ils
« On te l’avait bien dit que nous serions toujours les seuls à te rester fidèles. »





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