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dimanche 8 février 2009

Paris

"Tous ces déguisements qui rendent l'intérieur inaccessible
Et si étrange à soi-même jusqu'à en avoir peur
De regarder dans son intérieur et de n'y voir que du vide et de tomber
Tomber, tomber, parce qu'on se rendrait compte qu'il n'y a aucun artifice
Assez solide à l'intérieur où l'on pourrait se rattraper
Alors on a peur d'être seul comme on a peur de soi-même."

Roçé - Seul

Réveil matin pas bien mais incapable de dire pourquoi. Mes mots se sont fait la malle, je les vois chuter dans un gouffre et je n'ai plus de phrases pour draguer la mélasse. Dans ces moments-là, chaque parole est douloureuse. Je suis comme un enfant muet qui n'a pas encore de moyen de communiquer : entouré, mais seul.
J'ai besoin d'air, d'oxygène. J'ai besoin de faire cavaler mes jambes pour que ma tête ne cavale plus. Je slalome entre les skateurs de la place de la Bastille et descends maladroitement les pavés qui longent la Seine. Je découvre des ponts, des sous-ponts, des recoins qui cachent des morceaux de vies salies sous des sacs de couchage abandonnés. La musique dans mes oreilles m'empêche d'être consciente de tout ; je n'ai que des images floues des quais qui me trimballent jusqu'à Notre Dame. Là, un groupe de jazz qui squatte un pont me sort de ma bulle. Attroupement devant les cymbales, accent anglais presque anachronique sous le cliché parisien. Je poursuis mon chemin en poussant des barrières grinçantes. Une discussion entamée un peu plus tôt dans la torpeur des couettes du dimanche me pousse à rentrer dans la cathédrale. Tout y est désacralisé, les touristes m'écoeurent et rien ne me touche. Je préfère retrouver le soleil.
Mon téléphone vibre au milieu d'une méditation sur la solitude et sur l'étymologie du mot "confiance". Mickaël, cinéma, trop tard, un verre, plus tard, on se rappelle, d'accord. Entre temps, je suis arrivée à la Sainte Chapelle. Fermée, mais ça ne m'étonne qu'à moitié. Il n'y a pas de hasard.
Je descends des marches, me souviens d'un morceau de nuit passé à cet endroit et finis ma course au bout de l'île de la Cité, assise entre les péniches et les couples qui défilent devant mes yeux. Je me souviens d'un texte : "C'était ça, l'histoire de ma vie : courir jusqu'à épuisement en espérant tomber sur la poésie. Mais quand on arrive à destination, il n'y a que la pelouse pelée, le ciel jaunâtre et des gens qui ont décidément l'air très con." Rebelote, donc. Je pleure de froid devant le constat accablant que le monde n'a pas subitement changé avec le passage en l'an 2009. Mais j'ai peut-être pensé trop vite...
Un homme avec un chapeau noir fume à côté de moi. Ses cendres atterrissent sur mon manteau. Il s'excuse, entame la conversation, s'assoit. Il m'explique qu'il est Suisse, qu'il passe trois mois à Paris pour suivre une formation dans le domaine social. Il me raconte qu'il aime bien créer un contact avec les gens, s'étonne de l'extrême solitude à laquelle il est souvent confronté. Hier soir, c'était un soldat étranger de passage à Paris, rencontré dans un bar punk, un caïd qui s'est écroulé à force de devoir tuer des enfants. Le dialogue s'installe, facile, lent. Théâtre, musique, hypercommunication isolante, peur de l'autre, bouts de vie respectives, angoisse de ce qui vient. Il a un sourire rassurant, il a froid, se lève, s'en va.
Je reste encore un peu sur le bout de mon île et rejoins les boulevards. En haut du quai, même homme, même chapeau. "J'écoute Armand Amar, vous voulez écouter?" Pendant quelques instants, une musique traditionnelle arménienne vient se cogner sur mes tympans. Je suis frigorifiée, Mickaël sort dans plus d'une heure. "Vous voulez boire un verre en attendant?"
Dans un pub de la rue Saint André des Arts, je suis la seule à commander un thé entre tout les Anglais qui suivent un match, leur pinte à la main. Le débat reprend, sur l'importance de l'art, les réalités sociales contre l'absurdité du monde, des morceaux d'expérience balancés à l'inconnu. L'inconnu : je sais que c'est parce que je ne le reverrai jamais que je peux dire. Rien de très personnel ou de nouveau, mais simplement relancer le moulin à paroles.
L'heure tourne, il est temps de partir. "Bonne continuation, et sûrement à jamais!" A jamais, donc, à celui dont je ne connais pas le nom mais qui m'a fait une surprise au moment où je n'y croyais plus. L'inattendu est toujours quelque part, finalement.
J'attends en regardant des danseurs de hip-hop déjà croisés plusieurs fois dans Paris. Mickaël arrive, s'arrête au milieu de la route, presque à contre-sens, pour me récupérer. Mickaël est toujours plein d'énergie - peut-être grâce aux vingt yaourts qu'il mange chaque jour. Mickaël comprend tout. Je ne lui ai rien dit, il me sort tout ce que je n'ai pas pu dire ce matin au réveil. Mais avec Mickaël, rien n'est grave. Il en rit, fait quelques blagues de footballeur et me dépose devant chez moi. Il n'aime pas quand je lui dis merci. Ca le renvoie à ce qu'il est vraiment : quelqu'un qui pleure au cinéma et rit du reste avec une générosité rare. Il faudra que je lui demande s'il connait l'étymologie du mot "confiance". Je pense qu'il aura une idée.

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