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lundi 13 juillet 2009

Boris Vian is my homeboy

2 poèmes

Je voudrais pas crever

Je voudrais pas crever
Avant d'avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d'argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un côté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un monde d'égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu'on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me ferait de peine
Si si si je savais
Que j'en aurai l'étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j'apprécie
Que je sais qui me plait
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d'algue
Sur le sale ondulé
L'herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L'odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l'Ursula
Je voudrais crever
Avant d'avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J'en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu'on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir

Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s'amène
Avec sa gueule moche
Et qui m'ouvre ses bras
De grenouille bancroche

Je voudrais pas crever
Non monsieur non madame
Avant d'avoir tâté
Le goût qui me tourmente
Le goût qu'est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir goûté
La saveur de la mort...

***

Un de plus

Un de plus
Un sans raison
Mais puisque les autres
Se posent les questions des autres
Que faire d'autre
Que d'écrire, comme les autres
Et d'hésiter
De répéter
Et de chercher
De pas trouver
De s'emmerder
Et de se dire ça sert à rien
Il vaudrait mieux gagner sa vie
Mais ma vie, je l'ai, moi, ma vie
J'ai pas besoin de la gagner
C'est pas un problème du tout
La seule chose qui en soit pas un
C'est tout le reste, les problèmes
Mais ils sont tous déjà posés
Ils se sont tous interrogés
Sur tous les plus petits sujets
Alors moi qu'est-ce qui me reste
Ils ont pris tous les mots commodes
Les beaux mots à faire du verbe
Les écumants, les chauds, les gros
Les cieux, les astres, les lanternes
Et ces brutes molles de vagues
Ragent rongent les rochers rouges
C'est plein de ténèbres et de cris
C'est plein de sang et plein de sexe
Plein de ventouses et de rubis
Alors moi qu'est-ce qui me reste
Faut-il me demander sans bruit
Et sans écrire et sans dormir
Faut-il que je cherche pour moi
Sans le dire, même au concierge
Au nain qui court sous mon plancher
Au papaouteur dans ma poche
Ni au curé de mon tiroir
Faut-il que je me sonde
Tout seul sans une soeur tourière
Qui vous empoigne la quéquette
Et vous larde comme un gendarme
D'une lance à la vaseline
Faut-il faut-il que je me fourre
Une tige dans les naseaux
Contre une urémie de cerveau
Et que je voie couler mes mots
Ils se sont tous interrogés
Je n'ai plus droit à la parole
Ils ont pris tous les beaux luisants
Ils sont tous installés là-haut
Où c'est la place des poètes
Avec des lyres à pédale
Avec des lyres à vapeur
Avec des lyres à huit socs
Et des Pégases à réacteurs
J'ai pas le plus petit sujet
J'ai plus que les mots les plus plats
Tous les mots cons tous les mollets
J'ai plus que me moi le la les
J'ai plus que du dont qui quoi qu'est-ce
Qu'est, elle et lui, qu'eux nous vous ni
Comment voulez-vous que je fasse
Un poème avec ces mots-là?
Eh ben tant pis j'en ferai pas.

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