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vendredi 30 janvier 2009

Manchester / Liverpool


Vendredi 16 janvier 2009

"Toute ma vie, j'ai rêvé d'être une hôtesse de l'air."
C'est à peu près la seule chose qui me vient à l'esprit en regardant le tarmac à travers l'immense vitre du terminale 2, aéroport Charles de Gaule. Je suis allongée dans un grand fauteuil tout confort, aux premières loges pour la valse des lumières artificielles qui rendent la nuit si belle derrière le plexiglas. Mon avion ne décolle pas avant une heure, mais je regrette déjà de ne pas être arrivée plus tôt. Je regrette de m'être enregistrée en ligne, de ne pas avoir eu à faire la queue au bon comptoir, de ne pas avoir eu à demander une place à côté du hublot. Je crois que je pourrais passer ma vie dans un aéroport. J'adore toutes ces formalités à refaire vingt fois, sortir mon passeport, répéter ma destination, franchir une porte, deux portes, trois portes ; j'aime la douceur condescendante des hôtesses qui nous accueillent après avoir été pris pour des terroristes ; j'aime l'atmosphère molletonnée des salles d'attente ; j'aime ce moment suspendu, cet entre-deux, quand on a quitté la fourmilière des gens qui restent et qu'on ne fait pas encore parti de ceux qui sont partis. J'aime cette douceur, cette quiétude ; cette impression de ne plus être au monde pendant quelques heures. Il y a des moments comme ça où je me sens tellement heureuse que j'ai envie de pleurer. Quand je me retrouve seule dans un aéroport ou que je boucle ma ceinture, c'est systématique : je me sens submergée par une émotion si forte que je me dis que le voyage pourrait s'arrêter là. Je ne crois pas que ce soit vraiment du bonheur. Ce serait un peu con d'être heureuse juste pour ça. Finalement, je ne suis pas Verseau pour rien : j'étais destinée à être boulimique de voyages. Je pardonne toutes les attentes pour passer au-dessus des nuages. Je suis prête à tout pour m'envoyer en l'air.

Samedi 17 janvier 2009 :

Dès que j'arrive dans un nouveau pays, je m'émerveille pour un rien. Manchester n'a pourtant rien de très dépaysant. Mais tout parait différent, neuf. Comme si je redécouvrais tout, pour la première fois : la couleur mauve de la moquette, les trains, les affiches. Même les gens sont différents : il y a quelque chose dans leur posture, dans leur énergie que je ne reconnais pas. Je suis - vraiment - ailleurs. Les premières heures sont fatigantes : mes neurones sont en hypertension vers la nouveauté. Je capte tout, si bien que je ne capte plus rien. Je n'ai presque rien retenu du chemin entre la gare et l'appartement de Mélanie. Et dans le wagon qui nous entraine à Liverpool, même scénario : chaque paysage est une redécouverte, une nouvelle image, une nouvelle couleur. Je m'en gave, je remplis mon réservoir. A Liverpool, je retrouve l'air de la mer. Une atmosphère plus dégagée, plus ouverte. Presque plus touristique, si tant est que l'on puisse considérer Liverpool comme un haut lieu de tourisme. A en croire la sur-exploitation presque indécente des vestiges des Beatles, cela dit, l'hypothèse n'est pas si absurde. A cette époque de l'année, je suis la seule à prendre la pancarte "The Cavern Quarter" en photo. Je remplis sagement mon rôle de touriste, j'énumère les artistes du Wall of Fame, je pose avec les multiples statues des Fab Four, je visite les boutiques qui leur sont dédiées. Nous faisons aussi un détour sur un paquebot entrée libre, qui est en fait un traquenard pour vanter les mérites de l'armée et enrôler les plus jeunes. Il y a des petits mousses d'une dizaine d'années. Dix minutes de queue pour entrer, quarante pour en sortir : c'est un bon résumé de ce que doit être l'armée, finalement. On ne retiendra de cette escale que les yeux bleus d'un amrin qui aurait presque pu me faire signer en insistant un peu. Sauf que je n'ai pas la bonne nationalité. Il aurait fallu qu'on se marie d'abord.
Un moment d'émotion en descendant dans la Cavern avant de rejoindre Manchester. Emotion davantage liée à "Across the universe" qu'aux Beatles. Ce film me hante toujours, j'ai traqué les ruelles de briques rouges à Liverpool et Albert Dock ne m'a pas donné satisfaction. En errant dans les rayons d'un magasin de lingerie, je me dis que la magie n'était pas vraiment là. Je ne suis pas déçue pour autant. J'ai eu ce que je voulais : du neuf.
Le soir, à Manchester, je me sens un peu seule. Et surtout très mal sapée parmi toutes les Anglaises déguisées en ambassadrices Ferrero Rocher pour aller boire une pinte. D'ailleurs, j'ai pris du vin. Mais le pub est trop grand, les gens trop loin. Je me demande ce que font mes amis. Céline m'emmène dans une boite, mais les néons roses me donnent envie de vomir. Je veux dormir. Je me réconcilie avec l'éveil autour d'une portion de frites. Céline est quelqu'un de bien. C'est bon d'être prise en compte. Plus tard, assise sur le couvercle des toilettes, en pleine discussion accidentelle au téléphone, je sais que la deuxième journée, celle de la solitude, est finie. Je vais pouvoir commencer à relativiser.

Dimanche 18 janvier 2009 :

Levées tard, trainasseries devant la télé. Mais moi, je voudrais encore me gaver de nouveautés. Après-midi shopping. C'est difficile de faire comprendre à ceux qui connaissent la ville qu'on veut simplement s'y promener, même s'il n'y a rien à * voir *. Le George Perec qui est en moi se sent un peu frustré. Voir, flâner, relever les détails, l'insignifiant, le magique. J'ai parfois des bouffées de désespoir, j'aurais voulu bousculer le quotidien. Je me résigne, reporte mes errances à demain et claque mes thunes pour ne pas penser que je n'ai aucune valeur.
Le soir, nous allons boire un verre à l'hôtel Hilton. Sapes de princesse, tapis rouges, nous sommes des VIP outrées de devoir pousser nous-mêmes les portes. Discussions de fille devant deux Cosmopolitains et un How High (étrange cocktail au lychee, à la crème de coco et au piment vert), en haut d'une tour de vingt étages qui nous ouvre les yeux sur la nuit citadine mancunienne. La vue est tout simplement magnifique. Je repense aux lumières de l'aéroport ; je pense à "Lost Highway". Je pense que tout ça est beaucoup trop cliché. Je pense que j'aime les clichés, autant que les saveurs qui rappellent un vécu rassurant. Je pense que je suis heureuse d'être avec elles. Je pense que ça faisait longtemps que je n'avais pas prolongé ce genre de discussions jusqu'à pas d'heure, en pyjama sur un vieux canapé.

Lundi 19 janvier 2009 :

Aujourd'hui, c'est MON jour. Mélanie et Céline travaillent : je suis parée à faire le tour de la ville toute seule. Avant de partir, je discute avec Maria, je découvre sa vie, sa difficulté. J'aime rentrer dans l'histoire des gens, leur poser des questions, imaginer comment ils font, eux, pour avancer. Les rencontres éphémères sont toujours une richesse : c'est le pollen qu'on récolte et qui produit notre miel, dirait Philippe Avron. Le miel qu'on redistribue ensuite - quand les batteries sont rechargées.
J'ai prévu de faire un tour presque circulaire de Manchester. Je pars, un parapluie dans une main, une carte dans l'autre. Je commence par le quartier de Castlefield, qu'on m'a décrit comme sans intérêt. C'est pourtant là que je passerai le plus de temps. En me perdant dans des parkings ou sous des ponts glauques, je tombe sur des canaux avec de belles péniches, des ponts tremblants et des ruines romaines. J'erre entre des bâtiments industriels et des plans d'eau recouverts de canards. Il commence à neiger de plus en plus fort ; je me sens de plus en plus libre. Ma tête est vide, j'avance à l'instinct ; je suis émerveillée par le moindre détail et la neige rend le tout magique. Je me perds, je quitte la quiétude des canaux pour arriver dans Petersfield. Là, les immeubles sont très grands, très hauts. Il y a un côté américain là-dedans. Je passe devant le Palace Hotel et le Bridgewater Hall, énormes tas de briques. Je ne m'éternise pas, je me retrouve dans le Gay Village. Coup de cœur. L'homosexualité y est complètement assumée ; il y a même un bar qui s'appelle "The Queer". Il y a des fanions de toutes les couleurs, et des maisons couleur pastel qui tranchent avec les tons typiques de la ville. Un peu plus loin, c'est Chinatown et ses odeurs de nourriture qui donnent faim. Je commence à avoir froid, je rentre dans une boutique. Pousser la porte, c'est un peu traverser une faille dimensionnelle. Là, plus personne ne parle anglais, tout le monde me regarde de travers. Je fais semblant de m'intéresser aux bouddhas pour avoir le temps de me réchauffer, et je me remets en route.
Picaddilly Gardens, que je n'avais pas encore vu. Une immense esplanade, ouverte. Une respiration après des heures de déambulation dans des rues hérissées de murs de briques. Je rejoins Oldham Street, dans le Northern Quarter, LE spot pour les fouineurs de disquaires. J'en tente un ; je ne comprends rien au système. Des dizaines de mecs se baladent avec des piles de petites planches en carton et les classent. Je pose une question à quelqu'un que je prends pour un vendeur. Je ne comprends pas un seul mort. Je me demande si j'ai bien quitté Chinatown. Par dépit, je me réfugie deux boutiques plus loin dans un magasin de fringues et en ressort avec deux robes de plus. Simple, rapide, efficace.
Le froid devient difficilement supportable : ça fait presque cinq heures que je marche sous la neige. J'ai presque l'impression de devenir, petit à petit, une sorte de femme-arbre. Je me réfugie dans Arndale Market, un centre commercial qui fait presque la taille d'un quartier sur ma carte laminée. Dans la glace des toilettes, je réalise que je suis grise de froid. Je tente l'expérience de passer de l'eau chaude sur mes mains. Ca ne fait pas de vapeur, mais ça fait mal. Je ne crois pas avoir eu aussi froid en Islande.
Cette fois, il fait complètement nuit. J'ai vu à peu près tout ce que je voulais voir. Je me réfugie dans un Starbucks et savoir mon White Caffé Moccha et mon Skinny Lemon Muffin With Poppy Seeds comme un réconfort après l'épreuve. Vautrée dans mon fauteuil, je me sens réconciliée. C'est trop bon. De ne rien avoir à penser, de simplement goûter une image de plus dans ma galerie du jour, entre deux bouchées de muffin au citron.
Le soir, Mélanie a invité des amis. Elle nous prépare des pâtes vietnamiennes au poulet et sauce à l'huître. J'en profite pour ramasser encore du pollen et parler une langue étrangère avec bonheur. Cette fois, je me sens bien. Cette fois, je ne veux plus partir. Cette fois - comme à chaque fois - je me dis que je dois absolument revenir.

Mardi 20 janvier 2009 :

C'est le jour du retour. Passage par la magnifique John Ryland's Library. Puis, direction l'aéroport. Même émotion qui me tire la glotte. Même émerveillement. Retour nostalgie à Paris. Dans le RER, mon wagon fonce dans la brume dont je m'étais envolée. Je m'accroche à mon téléphone pour ne pas couler. Back to black.

vendredi 2 janvier 2009

2009, année du bluff.

"Réintroduire du mythe et de l'utopie dans l'espace de vie commun, c'est faire entendre que nous pouvons agir sur notre quotidien, sur notre manière d'être ensemble et de partager."

Françoise Léger, Compagnie Ilotopies.

2009 passé de quelques instants, Curly et "bonne année", champagne, mousseux ou binouze, on rigole, on chante, c'est la fête. Et là, un jeune homme fort censé me dit dans l'oreillette : "Y'a un truc génial avec toi : t'es toute jeune mais t'as aucune illusion."
Bon, ça, c'est fait. Pan dans les dents, bam dans la gueule et bonne année grand-mère. J'en ai presque avalé mon Curly de travers.

Bref.

Puisque visiblement toutes mes illusions sont décédées, militons cette année pour le retour du merveilleux, de la magie, des voiles dans les pupilles, des étincelles dans le cerveau, de la surprise qui t'attend au coin de la rue, de l'inattendu qui te fait trébucher de ta routine tranquille, des petits trésors cachés, des pépites dissimulées, de tout ces petits trucs qui feront - peut-être - renaître les illusions.

Surprenons-nous les uns les autres.
Et bonne année à qui m'entend!