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lundi 1 décembre 2008

Variations : Ruptures au petit déj'




Mais je vous jure, Monsieur, c'était de la légitime défense. Vous ne me croyez pas? Laissez-moi vous raconter au moins... D'accord, c'est vrai, c'est moi qui ai... mais enfin, il s'apprêtait à faire quelque chose de bien pire, fallait bien que je réagisse!

Il était là, devant moi, il me regarde et comme ça, l'air de rien, il me dit : "A trois, je t'oublie." "Je t'oublie", il me dit, là, tout bêtement, comme on boit une tasse de café. Ca ne se dit pas des choses comme ça, vous comprenez, non? On n'oublie pas les gens comme ça, je lui dis, ça ne se fait pas, c'est quand même pas correct. Surtout après ce qu'on a vécu. Je veux dire, j'aurais été une petite nana à qui il aurait juste payé une barbe à papa dans une fête foraine ou je sais pas, d'accord, il aurait pu me dire : "Quand je sors de ce parc, je t'oublie". Mais enfin, quand même, pas à moi, pas comme ça... pas après tout ça.

"A trois, je t'oublie", il me dit, et j'ai pas mon mot à dire, c'est comme ça, c'est posé entre nos deux tartines. Et alors, il se met à compter, et il sourit presque. Et c'est son sourire qui me fait le plus mal, parce que je le connais ce sourire, c'est le plus beau des sourires et ça ne se peut pas, ça ne se peut pas que tout à coup, ce beau sourire serve à tuer des gens.

Alors voilà, il compte.
1... 2...
Je ne pouvais pas le laisser aller jusqu'à trois, vous comprenez?
C'est bien pire que n'importe quel crime d'oublier comme ça, non? Je veux dire... l'oubli... y'a rien de plus terrible... Le vide, le néant. C'est quand même bien plus insoutenable que de mourir.
Ca non, je ne pouvais pas le laisser m'oublier, le laisser me sortir de sa tête.
1...2...
J'ai trouvé que ça, le vieux pistolet du tiroir de la cuisine.
1...2...
Voilà. Je l'ai pas laissé dire trois.

(Je l'ai regardé droit dans les yeux parce que... vous savez... c'est toujours le visage qu'on oublie en premier).

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Il était assis en face de moi à la table de la cuisine. Je le regardais boire son café. Il a levé les yeux au-dessus de son bol et il m'a sourit. Ce sourire, mon dieu... ce sourire plein de soleil, si généreux qu'il réchauffait tout mes os. Il aurait pu raviver ma foi en n'importe quoi. Sans un mot, sans une parole. Seulement avec ce visage radieux.

J'ai longtemps cherché ce que je pouvais lui donner en retour. Mais j'ai eu beau fouiller dans mes brocantes, je n'ai jamais trouvé quoi que ce soit qui aurait pu avoir sa valeur. J'ai écumé les caves de breloques minables, j'ai essayé de forcer des coffres forts vides mais tout me faisait honte, tout était terne, tout était plat. Je n'avais rien à lui offrir ; et ce sourire me renvoyait à mon propre vide.

Il me regardait toujours. Tendrement. J'aurais voulu figer cet instant, ne jamais quitter cette douceur. J'ai eu envie de prendre son visage dans mes mains, lui dire que je l'aimais. Je lui ai souri, moi aussi, et j'ai dit : "Je te quitte".

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