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dimanche 9 janvier 2011

Crise de foi





Pour tout dire, je suis quelqu'un qui ne croit en rien. Pas en la moindre petite chose. J'aurais aimé, pourtant, être de ceux qui s'accrochent à une idée, à un espoir. Une petite lueur vers laquelle tendre le regard. Un point d'appui, un port d'attache.


J'ai bien essayé, pendant longtemps. La religion d'abord. Petite, j'ai prié avec ferveur, chaque soir, assisté à une quantité de célébrations, j'ai lu la Bible, communié dans toutes les églises, j'ai allumé des cierges, fait valoir ma double religion autant que je l'ai pu, et j'ai surtout envié la sérénité de tous ceux pour qui ces paroles signifiaient quelque chose. J'enviais cette promesse qu'on ne vit pas pour rien et puis c'est tout, qu'il y a un plan pour chacun d'entre nous, qu'on ne va pas comme ça, nulle part, balloté par le vent et les événements pour - finalement- pas grand chose. Mais l'idée de Dieu m'a abandonnée avec une telle facilité que j'ai compris que je n'y avais jamais vraiment cru. Tout n'était que mascarade et jeux pour m'occuper l'esprit, prétexte pour savoir quoi dessiner, et mastiquer une hostie pendant l'interminable messe du matin qui débordait toujours sur l'heure du déjeuner. Et pour tout dire, l'inexistence du Père Noël a été beaucoup plus dure à avaler.


Une fois mon ciel dépeuplé, je me suis tournée vers la terre et à défaut de croire en Dieu, j'ai voulu croire en l'Homme. Penser qu'il était bon et qu'il pouvait me faire du bien. J'ai voulu déceler à chaque nouvelle rencontre un point merveilleux à chérir et à adorer - ou tout du moins à respecter. Tout ça a fait beaucoup de monde à prendre en compte, à porter à bout de bras, ou au creux du myocarde, beaucoup de poids sur mes épaules qui se sont tordues sous l'amas de tous ceux que j'ai voulu embrasser. Mais peu m'important alors, car j'étais en Croisade, avec l'amour en étendard, des grandes valeurs plein la cervelle, et du sucre sur les cils. Mais tous ces grains ont fini par tomber, direct dans la cornée, et on enrayé la machine à illusions. J'ai ouvert les yeux. Et n'ai vu que des arrangements, des compromis avec sa propre sollitude, pour se sentir un peu moins seul, pour se sentir un peu moins con, pour se sentir un peu plus beau et un peu plus intelligent. Moi, j'aimais pour donner du sens, pour planter avec le monde entier des germes de quelque chose de plus grand que les moisissures de notre petite vie, pour élargir nos horizons et, peut-être, pour nous aider à nous supporter nous mêmes et les autres. Mais je n'ai vu que l'inverse : l'amour est un instinct de survie égoïste, un aller retour vers soi-même et personne d'autre. On attend de l'autre une valorisation, un point sur lequel s'appuyer pour se maintenir hors de l'eau. L'amour n'est pas un équilibre, il est une lutte entre celui qui parviendra à prendre ce dont il avait besoin, et l'autre, qui a perdu une partie de son trésor intime. Voilà ce que serait pour moi l'image de l'amour : deux bêtes se disputant une partie du corps de la bête d'en face. L'issue est évidente. Il y aura un gagnant, fortifié, et un perdant, diminué, qui sera obsédé par l'idée d'aller récupérer ce qu'il a perdu, auprès de la même bête, ou d'une autre, ça n'a plus d'importance. On n'aime pas une personne, on aime ce qu'elle a à nous donner.


Déçue par ces manigances, j'ai préféré croire en la vie en général. Je me suis faite prophète de la magie du quotidien. J'ai parcouru le monde en dansant sur sa poussière pour en faire des nuages d'étincelles, des trucs pour qui pourraient faire briller les yeux de l'humanité toute entière. J'ai déversé des étoiles à tous les coins de rues, j'ai inventé des tours, distribué des sourires, prêté mes oreilles, mes bras et mon corps tout entier, me suis fantasmée Mère Térésa des causes païennes. J'ai cru au mystères, aux signes du destin, aux horoscopes, à tout ce qui pouvait enchanter chaque jour de chaque semaine. Je lisais dans chacun de mes pas, dans chaque pavé de chaque trajet des vérités sur ma vie et puis sur celle des autres. Maisla poussière du sol ne se transforme jamais en soleil, et je me suis exténuée à ne rien faire d'autre que de la fumée. Alors à force de faire voler les acariens, je suis devenue allergique à l'air ambiant. C'est là je crois que j'ai décidé de partir. De revenir aux sources.


Je suis retournée dans une église. J'étais assise dans l'allée quand la musique a commencé, quand les enfants de choeur ont balancé l'encens sur les fidèles. Je ne pensais pas que les églises étaient encore si fréquentées, eten voyant la foule s'agglutiner autour du prêtre, j'ai presque ressenti une vibration. Une porte trembler. Une petite détente au fond du ventre. Mais au début du sermon, l'envie de vomir est revenue. La lumière crue du cynisme s'est abattue sur cette hypocrisie lattente au lieu de celle du Saint Esprit. Je suis sortie, je me sentais comme expulsée de la chaleur des cierges. Ma pauvre petite désillusion n'avait vraiment rien à foutre là.


Alors je suis revenue à moi.


Et me voilà, à 23 ans, et ne croyant toujours en rien. J'ai coupé les branches de chacune de mes étoiles pour les ancrer en moi, pour qu'elles ne soient qu'à moi et ne brillent que pour moi. Je m'enroule dans ma peau et ne dirige plus mes yeux vers une hypothétique idole qui cherchera à me dérober - mon fric, mon sexe, mes pensées.


J'ai fait le voyage en sens inverse et ai éparpillé toutes mes croyances, délesté mon dos, mon coeur, mes épaules, je suis revenue et je ne crois plus en rien. Pas même en 2011. Je ne crois plus en rien, mais cette phrase là est déjà une croyance en soi, à laquelle je m'accroche. Et cette certitude m'apaise -enfin.


Maintenant, il ne me reste plus qu'à... attendre ?


En indo-européen commun, kred d eh, que l'on traduit par croire, signifie "placer en son coeur".


J'ai voulu abriter mon coeur dans n'importe quelle poitrine pourvu qu'on le fasse battre. Mais la transplantation cardiaque n'est pas encore très au point.


S'il vous plait.


Redonnez-moi un peu de rêve.

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