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dimanche 21 décembre 2008

Tendre hommage

On devrait tous avoir un grand homme dans sa vie.
On devrait tous avoir un grand homme dont la générosité déborde autant que ses sourires.
On devrait tous avoir un vieil homme dont les années n'ont pas effacé les étincelles d'enfant.
On devrait tous avoir un vieil homme dont les yeux pétillent.
On devrait tous avoir un vieil homme plein de tendresse, qui nous répète avec malice, du haut de ses quatre vingt balais, que la vie peut être pleine de tendresse, si on le veut.
On devrait tous avoir un "Rire fragile".
On devrait tous avoir un Philippe Avron.

" Le rire...
C'est étrange, le rire...
Ça nous prend, ça nous surprend, ça nous cueille...
Chacun a son rire, son propre rire, mais parfois le rire nous échappe... On dit : "Le rire m'a échappé."
Faut pas compter sur la pensée pour le rattraper.

Est-ce qu'on peut penser et rire en même temps?... C'est difficile.
Parfois, on dit d'abord, et on pense après.
On dit : "J'ai ri, mais c'était pas terrible."
Parfois, on pense d'abord, et on rit après.
On dit : "Plus j'y pense, plus ça me fait rire."
Quand quelqu'un nous dit : "Je vais vous raconter une histoire, vous allez rire." Ca nous fait penser. Mais est-ce que ça nous fait rire?

A un moment, on était toute une bande de rires.
Il y avait Rire sous cape, Rire grêle, Rire jaune, Fou rire, Pouffe de rire, Rire en coin, Rire en dedans, Rire en dessous, Rire en vrille.
Moi, j'étais Rire fragile.

Rire fragile.
Tout ne me fait pas rire dans le monde, loin de là, mais j'ai toujours envie de rire avec tout le monde.
J'ai même besoin de rire avec tout le monde.

Il y a des gens qui n'ont pas envie de rire.
Il y en a qui ont ri, et qui ne rient plus.
Il y en a qui ne rient pas, qui ne riront jamais.
Même des enfants."

Philippe Avron, Rire Fragile


Joyeux Noël.



jeudi 11 décembre 2008

Electre - v 1.0


Arrêtez de me regarder.
Je sais bien à quoi je ressemble ; je suis un monstre.
Je porte ma peine en étendard au fond de mes orbites gonflées, et elle vous dégoûte.
Arrêtez de me regarder, je vous dis. Vos rétines sont des punaises qui m'arrachent des lambeaux de chair ; vos lèvres qui sourient sont autant de rasoirs qui laminent mes joues.
Je ne supporte plus vos yeux, je ne supporte plus vos bouches.
Qui est le plus monstrueux? Celui qui vit avec la mort ou celui qui est mort à force de l'avoir fuie?
J'ai mal mais je ressens.
J'ai mal mais je vibre.
J'ai mal mais j'écrase vos minables mines étriquées.
Laissez-moi, laissez-moi cracher mon fiel, laissez-moi bruler sous l'acidité lacrymale ; elle était en train de pourrir mon corps entier. Je veux qu'elle sorte, je veux qu'elle hurle, je veux que mes cils tombent un par un sous le poids de cette marée qui jaillit.
Laissez-moi faire et ne me regardez pas.
Ne me regardez pas.
Ne relevez les yeux que lorsque j'aurai suturé mes chairs. Quand je serai présentable.
Relevez les yeux quand vous me jugerez digne de ne plus être regardée.
Ne. Me. Regardez. Pas.

mardi 9 décembre 2008

Ca craquouille ou ça filouille?


Ma bague s'effiloche.
Ma putain de bague s'effiloche.
T'y crois, ça?
C'est quand même pas n'importe quelle bague, non? Cette bague a traversé les années, elle vient des années soixante-dix, elle a traversé des putain d'années pour arriver sur ce stupide étalage, pour arriver jusqu'à moi et maintenant, cette putain de bague s'effiloche.
Ca ne peut pas être une question de qualité. D'accord, cette bague est pourrie, miteuse, mais elle a vécu trente ans, tu comprends, trente putain d'années avant que JE n'arrive pour la mettre à MON doigt, trente ans pour qu'elle s'effiloche. Je veux dire, je n'ai jamais vraiment cru qu'elle était invincible mais quand même trente ans, elle doit tenir la route mais non je la mets à mon doigt et elle s'effiloche.
Psychologiquement, je veux dire, si on admet que je puisse être touchée par la dégradation de cette bague, psychologiquement, c'est quand même très dur de se dire que CETTE bague qui traverse le temps depuis trente ans, CETTE bague s'abime sur mon doigt. C'est quoi le truc? Psychiquement parlant, c'est quand même lourd, non? Je détruis tout ce que je touche ou tout ce qui me touche s'enfuit?
Je n'arrive pas à croire que CETTE bague, cette putain de bague...
Je veux dire... c'est pas comme si j'en n'avais pas pris soin ou quoi. J'en ai pris soin, je l'ai choyée, j'y croyais putain, j'ai mis de l'espoir dans cette putain de bague, je croyais en elle, j'y croyais, elle me paraissait fiable , tu comprends, fiable, viable, je sais plus mais enfin je pensais, non j'étais sûre qu'elle allait durer, cette putain de bague qui a traversé les années, trente putain d'années pour s'effilocher sur mon doigt. Je ne peux pas croire que ça finisse comme ça, putain que juste parce que j'en ai pris trop soin, les jointures craquent.
Comment ça ce ne sont pas les jointures qui craquent? Non, je sais que ce ne sont pas les jointures qui craquent, je sais bien qu'il n'y a pas de jointures mais si je parle de jointures c'est parce que c'est une image tu vois l'image des jointures qui craquent mais non ce ne sont pas les jointures qui craquent, concrètement en tout cas, ce ne sont pas les jointures qui craquent c'est moi qui craque et c'est ma bague qui s'effiloche. Et c'est un peu facile, je trouve, c'est un peu facile d'arriver comme ça, de constater les dégâts et de dire que j'en ai pas assez pris soin, que je ne m'y suis pas prise comme il faut et que ce ne sont pas les jointures qui craquent mais juste la bague qui s'effiloche. Je veux dire, si tu sais comment faire, toi, pourquoi tu ne t'es pas pointé avant pour ne pas que ça s'effiloche?
J'arrive pas à y croire.
Tout ça est vraiment... vraiment décevant. Vraiment... vraiment blessant.
C'est ça, blessant... et rageant.
J'aurais pu être très belle avec cette bague.

lundi 8 décembre 2008

Atelier d'écriture n°3 : fictionner à partir de la lettre d'un proche.

Consigne : envoyer un lettre à un proche disant "Ecris-moi quelque chose de moi que je ne sais pas" ; fictionner à partir de la réponse.

Texte à lire à voix haute. Attention aux changements de rythme.

Oui, oui, ça va! Je suis très occupée en ce moment, je n'ai plus une minute à moi. Professionnellement, j'ai beaucoup avancé : on a eu beaucoup d'opportunités inespérées ces derniers mois et on a pu établis pas mal de nouveaux partenariats. Il faut dire que dans ce secteur, ça bouge énormément. L'essentiel, c'est de rester sur le qui-vive et de saisir tout ce qui est à notre portée. Il n'y a que comme ça qu'on réussit aujourd'hui, c'est bien connu. Mais du coup, c'est vrai que je suis toujours à droite à gauche, je n'ai plus trop le temps de me poser. On me traite d'hyperactive, alors tu vois... Mais c'est mon moteur, clairement, j'ai besoin de ce rythme effréné, de ce tourbillon incessant pour me sentir vivante, pour ne surtout pas penser.

Je travaille sur des projets très différents en fait. Tout ça devrait se développer cette année, assez rapidement, alors j'essaye de rester disponible. C'est sûr, il faut être capable de jongler entre tout ça, mais tu sais, quand on est passionné, on arrive à tout. D'autant plus que ce sont des projets vides de sens auxquels je ne crois plus du tout et qui pompent tout mon énergie - je suis une loque.

Cela dit, ne crois pas que tout ça empiète sur ma vie privée. Je continue à voir du monde, je crois même que je ne suis jamais autant sortie qu'en ce moment. Ca me fait un bien fou. Je regarde mes amis qui rient autour de moi, et je me dis : "Comment je pourrais faire pour vivre sans toi?" Alors j'enchaine les verres pour ne plus y voir ton visage, je brûle ton image, je brise les souvenirs à coups d'éclats de rire ; je rentre avec les derniers métros pour être un peu moins seule et mon sourire s'effiloche au fil des stations.

Ma vie est vraiment bien remplie - et je suis pleine de vide. Je la gave autant que je peux, de bouffe et de personnages derrière lesquels je peux disparaitre. Je ne connais plus personne, personne ne me connait, tu es parti avec mes tripes, tu es parti avec mon identité, tu es parti avec tout ce qui faisait que je restais debout et je n'ai plus qu'à courir, courir, courir pour ne pas tomber, courir pour ne pas crever ou cracher à la face de ce monde qui n'a plus aucun sens, tu entends, plus aucun sens depuis que tu as tout éparpillé, tout piétiné à coups de pieds, depuis que tu m'as laissée là toute seule, me débrouiller toute seule pour consumer la vie, pour faire semblant que je m'en fous, je m'en fous, je m'en fous, je m'en fous.





Et toi, ça va?

lundi 1 décembre 2008

Variations : Ruptures au petit déj'




Mais je vous jure, Monsieur, c'était de la légitime défense. Vous ne me croyez pas? Laissez-moi vous raconter au moins... D'accord, c'est vrai, c'est moi qui ai... mais enfin, il s'apprêtait à faire quelque chose de bien pire, fallait bien que je réagisse!

Il était là, devant moi, il me regarde et comme ça, l'air de rien, il me dit : "A trois, je t'oublie." "Je t'oublie", il me dit, là, tout bêtement, comme on boit une tasse de café. Ca ne se dit pas des choses comme ça, vous comprenez, non? On n'oublie pas les gens comme ça, je lui dis, ça ne se fait pas, c'est quand même pas correct. Surtout après ce qu'on a vécu. Je veux dire, j'aurais été une petite nana à qui il aurait juste payé une barbe à papa dans une fête foraine ou je sais pas, d'accord, il aurait pu me dire : "Quand je sors de ce parc, je t'oublie". Mais enfin, quand même, pas à moi, pas comme ça... pas après tout ça.

"A trois, je t'oublie", il me dit, et j'ai pas mon mot à dire, c'est comme ça, c'est posé entre nos deux tartines. Et alors, il se met à compter, et il sourit presque. Et c'est son sourire qui me fait le plus mal, parce que je le connais ce sourire, c'est le plus beau des sourires et ça ne se peut pas, ça ne se peut pas que tout à coup, ce beau sourire serve à tuer des gens.

Alors voilà, il compte.
1... 2...
Je ne pouvais pas le laisser aller jusqu'à trois, vous comprenez?
C'est bien pire que n'importe quel crime d'oublier comme ça, non? Je veux dire... l'oubli... y'a rien de plus terrible... Le vide, le néant. C'est quand même bien plus insoutenable que de mourir.
Ca non, je ne pouvais pas le laisser m'oublier, le laisser me sortir de sa tête.
1...2...
J'ai trouvé que ça, le vieux pistolet du tiroir de la cuisine.
1...2...
Voilà. Je l'ai pas laissé dire trois.

(Je l'ai regardé droit dans les yeux parce que... vous savez... c'est toujours le visage qu'on oublie en premier).

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Il était assis en face de moi à la table de la cuisine. Je le regardais boire son café. Il a levé les yeux au-dessus de son bol et il m'a sourit. Ce sourire, mon dieu... ce sourire plein de soleil, si généreux qu'il réchauffait tout mes os. Il aurait pu raviver ma foi en n'importe quoi. Sans un mot, sans une parole. Seulement avec ce visage radieux.

J'ai longtemps cherché ce que je pouvais lui donner en retour. Mais j'ai eu beau fouiller dans mes brocantes, je n'ai jamais trouvé quoi que ce soit qui aurait pu avoir sa valeur. J'ai écumé les caves de breloques minables, j'ai essayé de forcer des coffres forts vides mais tout me faisait honte, tout était terne, tout était plat. Je n'avais rien à lui offrir ; et ce sourire me renvoyait à mon propre vide.

Il me regardait toujours. Tendrement. J'aurais voulu figer cet instant, ne jamais quitter cette douceur. J'ai eu envie de prendre son visage dans mes mains, lui dire que je l'aimais. Je lui ai souri, moi aussi, et j'ai dit : "Je te quitte".