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dimanche 24 mai 2009

CaCO3

Il prend soin de moi comme d'une coquille d'oeuf
fragile et vide
ses mains aussi légères que des plumes sur mes épaules, des plumes pour m'envoler aussi loin que mon calcite le pourra.

Il prend soin de moi comme d'une coquille d'oeuf
parce qu'il est le seul à avoir vu, compris qui de l'oeuf ou la poule
su enlever la paille et la poule pour prendre entre ses bras la coquille, seule, sans la briser, entre ses bras lovée.

Il prend soin de moi comme d'une coquille d'oeuf
jamais brutal, toujours si doux, apaisant, prévenant
sachant apaiser les frissons de ma décalcification.

Il m'entoure de coton, me confectionne un nid pour y grandir au chaud, et je pourrais y être heureuse, si heureuse, loin des fissures, des blessures, des violences, dans son confort permanent.

Mais si je suis une coquille d'oeuf, alors...
Si je suis une coquille d'oeuf.
Toute coquille doit se briser un jour ou l'autre.
Alors je roule hors de son nid et je m'éclate sur le sol.

jeudi 21 mai 2009

[Spoiler] Novecento : pianiste

Toute cette ville... on n'en voyait pas la fin... /
Hep, la fin, s'il vous plait, on voudrait voir la fin! /
Et ce bruit /
Sur cette maudite passerelle... c'était très beau tout ça... et moi j'étais grand avec ce manteau, j'avais une sacrée allure, et bien sûr, j'allais descendre, c'était garanti, pas de problème, /
Avec mon chapeau bleu /
Première marche, deuxième marche, troisième marche /
Première marche, deuxième marche, troisième marche /
Première marche, deuxième /
Ce n'est pas ce que j'ai vu qui m'a arrêté /
C'est ce que je n'ai pas vu /
Tu peux comprendre ça, mon frère? C'est ce que je n'ai pas vu... Je l'ai cherché mais ça n'y était pas, dans toute cette ville immense il y avait tout sauf /
Il y avait tout /
Mais de fin il n'y en avait pas. Ce que je n'ai pas vu, c'est où ça finissait, tout ça. La fin du monde /
Imagine, maintenant : un piano. Les touches ont un début. Et les touches ont une fin. Toi, tu sais qu'il y en a quatre vingt huit, là-dessus personne peut te rouler. Elles sont pas infinies elles. Mais toi tu es infini. Voilà ce qui me plait. Ca, c'est quelque chose qu'on peut vivre.
Mais si tu /
Mais si je monte sur cette passerelle, et que devant moi /
Mais si je monte sur cette passerelle et que devant moi se déroule un clavier de millions de touches, des millions, des millions et des milliards /
Des millions et des milliards de touches, qui ne finissent jamais, c'est la vérité vraie qu'elles ne finissent jamais, et ce clavier-là, il est infini /
Et si ce clavier est infini, alors /
Sur ce clavier-là, il n'y a aucune musique que tu puisses jouer. Tu n'es pas assis sur le bon tabouret : ce piano-là, c'est Dieu qui y joue /
Nom d'un chien, mais tu les as seulement vues, ces rues?
Rien qu'en rues, il y en avait des milliers, comment vous faîtes là-bas pour en choisir une /
Pour choisir une femme /
Une maison, une terre qui soit la vôtre, un paysage à regarder, une manière de mourir /
Tout ce monde, là /
Ce monde collé à toi, et tu ne sais même pas où il finit /
Jusqu'où il y en a/
Vous n'avez jamais peur, vous, d'exploser, rien que d'y penser, à tout cette énormité, rien que d't penser? D'y vivre... /
Moi, j'y suis né, sur ce bateau. Et le monde y passait, mais par deux mille personnes à la fois. Et des désirs, il y en avait aussi, mais pas plus que ce qui pouvait tenir entre la proue et la poupe. Tu jouais ton bonheur, sur un clavier qui n'était pas infini.
C'est ça que j'ai appris, moi. La terre, c'est un bateau trop grand pour moi. C'est un trop long voyage. Une femme trop belle. Un parfum trop fort. Une musique que je ne sais pas jouer. Pardonnez-moi. Mais je ne descendrai pas. Laissez-moi revenir en arrière.
S'il vous plait /
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dimanche 17 mai 2009

[Variations] Tainted Love


Pétris-moi le corps encore
tes doigts dans ma chair
la peau marquée à l'émail de tes dents
les traces sont effacées mais je n'ai pas oublié, pas oublié les bleus des nuits dérobées, pas oublié le sang dans la tête, les tempes battantes du plaisir des coupables, les cris étouffés, la douceur douloureuse.

Pétris-moi le corps encore
avant que je n'étouffe de me souvenir
déchaine-toi, enchaine-moi, charme-moi dans la buée de tes soupirs
marque-moi au fer de tes lèvres
débats-moi dans tes bras encore une dernière fois.

Je porte tes égratignures pour exhiber les traces de ton passage sur moi.

***

J'ai
des lambeaux d'autoroute qui tracent des traits sur ma mémoire
J'ai
des souvenirs de toi en boucle qui pleuvent sur le faisceau des phares
J'ai
ton corps qui roule sur le bitume et puis tes cheveux dans la lune
J'ai
ton sourire sur les lumières qui me regardent en sens inverse
J'ai
tes doigts pour les traces blanches qui fixent mon parcours
J'ai
ta peau en GPS et ta salive en carburant
J'ai
envie de ton pare-choc à chaque tour de volant
J'ai
le mouvement de tes reins à la place des coups de frein.


Tu m'embrayes, tu m'embrouilles, tu me fais perdre mon essence
Et je finis ma course en nous crashant à contre-sens.

jeudi 7 mai 2009

Paul

"Il n'y a rien de pire que le confort.
Et c'est souvent en voulant donner le meilleur qu'on offre la pire chose qui soit."

mercredi 29 avril 2009

Try to remember

"Si j'étais un objet, je serais une bouilloire électrique."

Je remonte doucement la pente de mon passé. Ce n'est pas le chemin des écoliers mais plutôt des sauts en sens inverse dans les traces qu'ont laissé mes pas.

Il y a d'abord le trajet bien connu, la place de la mairie. Je longe les stands de nourriture et la vitrine de la librairie - était-elle déjà là il y a cinq ans? L'odeur du poulet grillé, les épices, l'odeur des gens qui vivent pendant que je me concentre pour retenir le digicode. Deux passages piétons, consécutifs, la fontaine qui ne marche que l'été, et puis enfin, la rue boisée, en douce montée. Il y a toujours le même immeuble, et toujours la même fenêtre étrange où s'éparpillent des cris d'oiseaux. Je n'ai jamais regardé à l'intérieur, je n'ai jamais osé tourner la tête. Les pépiements sonnent comme le signal du départ vers la dernière ligne droite.

Vite. Réfléchir aux premiers mots à dire, comment engager la conversation, trouver le sujet du jour, le filet de sauvetage si mes mots me noient au lieu de couler. Dernier passage piéton, déjà. Et là, la porte vitrée. Le code n'a pas changé, l'étiquette "rez-de-chaussée gauche" non plus. J'avais oublié la rapidité avec laquelle il fallait se jeter sur la poignée, dès le bouton de l'interphone enfoncé. Mais je n'ai pas oublié le chemin ; avec lui me revient instinctivement la douce et réconfortante culpabilité de pousser la porte "entrée libre". Ici non plus, rien n'a changé. Même moquette, même fauteuil qu'on choisit toujours à l'identique, même livres qu'on fait semblant de lire, même radio qu'on n'écoute pas. Même bonhomme qui m'accueille avec un sourire aussi apaisant qu'angoissant, dans le même lieu, avec les mêmes paroles. Sur son visage défilent celui de mes frères, de mon père, des hommes que j'ai aimés, celui de ma mère, d'ancêtres lointains et d'amis proches, de connaissances perdues, retrouvées, oubliées à tout jamais.

Et derrière lui, là, tout au bout de ce chemin qui n'a pas changé, il y a moi, qui m'attend là depuis toujours.

dimanche 12 avril 2009

Facebook [v.1]


Je me connecte sur Facebook. Adresse pré-enregistrée, mot de passe automatisé, socialement labellisée, je retrouve mes amis sur mon Wall. Rapide tour d'horizon, les gens que j'aime vont bien, leur statut est à jour. On s'échange quelques verres, une partie de poker et j'envoie un bisou à paillettes entre deux sushis sur l'appli "japanese food". Je sais plus trop quoi faire alors je fouille dans les photos d'une camarade d'école primaire qui a grossi, qui vit dans un trou paumé avec son mec ringard, ses potes ringards, son boulot ringard et ses fringues ringardes, hahaha, j'ai toujours su qu'elle finirait par rater sa vie. Stop! Y'a du mouvement sur le "profile" d'un friend. Changement de picture, tête de sa pouffe en avatar, cet étalage d'amour, vraiment, c'est indécent. Si elle savait que tout les deux, on a 97% de compatibilité sexuelle au Sexo Quizz et qu'on se poke toute la journée... c'est dingue comme il poke bien. Pour me venger, je réponds une vacherie sur elle aux "Petites questions entre amis", ce sera toujours ça de pris. Et là, je tombe sur les photos d'un event où j'ai pas été invitée. Je comprends pas, j'ai du être blacklistée, ça me rend mal, je change mon statut pour faire réagir mes contacts, un truc bien sombre pour avoir des messages dans ma box. Ca fait dix minutes et j'ai toujours pas de comment, pas même un like ou un clin d'oeil. Pourtant, je les vois débattre sur le link de Machine, pourquoi personne n'a rien écrit sur mon wall à moi depuis deux jours, pourquoi personne ne prend du temps et des nouvelles, ils m'oublient, ils m'aiment plus, c'est pas de ma faute si j'ai pas de connexion dans la journée, j'ai peur de perdre mes relations, je leur envoie des Pamela Anderson et je les chatouille à distance, ouf, ça y est, il y a des news dans mon feed, mais non, c'est juste une boule de neige envoyée par une conne partie vivre son rêve en Finlande, je le sais, je l'ai vu sur les albums de sa petite vie parfaite pendant que je colle la mienne au plasma, je me sens seule sur mon wall, je me sens seule face aux visages qui sourient Barbie et je me rends compte que j'ai perdu le goût des peaux. Alors je regarde mon profil et ça me rassure : j'ai plein de photos taggées, ça prouve que je fais des choses, que je suis entourée. Superpoke général, je retourne me coucher.

dimanche 5 avril 2009

Sujet de réflexion du dimanche soir

"Toutes les sociétés humaines sont spectaculaires dans leur quotidien et produisent des spectacles pour des occasions spéciales. Elles sont spectaculaires en tant que mode d'organisation sociale, et produisent des spectacles comme celui que vous vêtes venus voir.

Même si nous n'en avons pas conscience, les relations humaines sont structurées de façon théâtrale : l'utilisation de l'espace, le langage du corps, le choix des mots et la modulation de la voix, la confrontation des idées et des passions, tout ce que nous faisons sur les planches, nous le faisons dans notre vie : nous sommes le Théâtre! Non seulement les noces et les funérailles sont des spectacles, mais le sont aussi les rituels quotidiens si familiers qu'ils n'affleurent pas à la notre conscience. Non seulement les grandes pompes, mais aussi le café du matin et les bonjours échangés, les amours timides et les grands conflits passionnels, une séance du sénat ou une réunion diplomatique - tout est théâtre.

L'une des principales fonctions de notre art est de porter à notre conscience les spectacle de la vie quotidienne dont les acteurs sont également les spectateurs, dont la scène et le parterre se confondent. Nous sommes tous des artistes : en faisant du théâtre, nous apprenons à voir ce qui nous saute aux yeux, mais que nous sommes incapables de voir tant que nous sommes peu habitués à regarder. Ce qui nous est familier nous devient invisible : faire du théâtre, c'est éclairer la scène de notre vie de tous les jours."

Augusto Boal